Skip to main content

Discours de Mr. Frattini "Éthique et Interculturalité" Paris, Assemblée Nationale

Paris, Assemblée Nationale, 8 Février 20013


Discours de Mr Franco Frattini: “Éthique et Interculturalité”
Table ronde – INSTITUTE DES HAUTE ETUDE ISLAMIQUE

La globalisation désormais irréversible est une source de menacespour certains aspects du développement du monde et du progrès des peuples, mais c’est aussi une source d’opportunités importantes que nous devrons saisir.

Elle impose aussi des choix décisifs pour l’avenir de l’humanité : c’est de ces choix que dépendra la centralité de la personne humaine dans chaque société, la promotion et la protection des droits fondamentaux de chaque individu, c’ést-à-dire la force nécessaire pour repousser les néo-totalitarismes qui visent à sacrifier l’homme au profit, aux doctrines absolutistes et aux égoïsmes de classe.

L’histoire récente de notre planète montre clairement que la vie des femmes et des hommes peut être influencée par des événements et des processus qui se déroulent à des milliers de kilomètres de distance. Les relations économiques, géopolitiques et sociales au niveau mondial, les moyens de communication et les technologies modernes, les médias et les transports permettent aux informations de circuler rapidement. Les individus et les biens sont à la fois la source et la manifestation de la globalisation en tant que processus débouchant sur une interdépendance mondiale.

Voilà pourquoi le facteur croissance ne peut ignorer l’interculturalité : parce que le rapport entre deux ou plusieurs cultures comporte déjà en soi un enrichissement et donc une croissance réciproque.

À condition que les cultures planétaires et les cultures locales puissent confronter leurs différences, et à cette condition seulement, elles pourront travailler en vue d’ententes communes : dépasser les diversités qui sont des sources de blocage, éliminer les difficultés dans la recherche d’un travail, participer avec une approche altruiste aux processus d’immigration et d’intégration, réprimer l’intolérance, les formes de violence et le refus de ce qui est différent.

En ce sens, la mémoire a pour devoir de formuler une prophétie vigilante pour tous : dans l’esprit des pères fondateurs de l’Europe –De Gasperi, Adenauer, Schuman –, l’appartenance à la maison commune européenne signifiait le dépassement des égoïsmes nationalistes et régionalistes, l’ouverture active vers la mondialité et l’interculturalité, et le sens profond des responsabilités à l’égard des valeurs constitutives de l’identité européenne.

Il faut alors partir de la personne humaine, de l’unicum que celle-ci représente dans toutes les grandes cultures et religions qui recherchent depuis des siècles le progrès et non la régression des sociétés.

Globaliser les droits, cela veut dire alors réaffirmer que c’est seulement en partant de la personne humaine dans le dialogue et dans le rapport avec les autres, que les grands défis globaux deviennent des opportunités communes et non le heurt entre des visions et des principes qui essayent de s’écraser les uns les autres.

Cette crise économique très profonde nous impose aussi des modèles sociaux et de vie sociale ayant au centre l’éthique comme pilier culturel, économique, aussi bien que pour les marchés et le commerce.

De nombreuses régions du monde – et je pense avec une tristesse toute particulière à l’Afrique, au Sahel, au Mali, au Moyen-Orient, à certains pays d’Asie et à la Méditerranée – sont traversées par des crises et parfois par des conflits alimentés par des extrémistes et des organisations terroristes, et parfois menés en invoquant, certainement de manière blasphématoire, les préceptes de l’Islam, pour attaquer et tuer des êtres innocents et pour essayer de soumettre des populations entières à des dictatures. Les occidentaux, trop souvent, eux même, font de la confusion dangereuse en utilisant le mot islamiste au lieu que « terroriste ».

C’est d’abord en pensant à ces événements tragiques, aux massacres de Chrétiens, à ceux qui opposent les Chiites et les Sunnites, aux instabilités et aux violences de certains régimes, que s’impose à nousun impératif en premier lieu d’ordre moral.

Je ne crois pas à une inévitable lutte entre les cultures et le religions. Mais je pense qu’il soit nécessaire une lutte entre l’extrémisme et l’ouverture, le respect et l’humiliation de la dignité humaine. C’est a nous tous, chrétiens, juifs, musulmans de la faire. Isoler les extrémistes est la valeur ajoutée d’une véritable alliance au nom de la centralité humaine.

Cet impératif, c’est la recherche de ce qui peut unir plutôt que diviser, et des femmes et des hommes de bonne volonté qui peuvent s’unir pour dire « oui » au dialogue sans conditions préalables entre les cultures, les religions et les civilisations, au nom d’un humanisme du vingt-et-unième siècle qui vainque la peur et l’intolérance.

Je suis convaincu que les extrémistes refusent le dialogue parce qu’ils sont une minorité et qu’ils savent bien que la majorité des peuples cherche la paix, la stabilité et la prospérité. Et je suis convaincu que l’alliance globale entre ceux qui promeuvent le dialogue sera d’autant plus forte que chacun de nous aura le courage de la vérité, comme le rappelle le pape Benoît XVI, et que chacun d’entre nous sortira de sa sphère privée pour offrir aux autres, en premier lieu, la compréhension des raisons d’autrui et la contribution de sa propre identité et de ses propres idéaux. L’encyclique « CARITAS IN VERITATE » nous rappelle, au temps de la globalisation, la centralité de la transparence, de la solidarité et honnêteté, comme expression de fraternité humaine.

C’est un devoir éthique, pour ceux qui défendent le dialogue fondé sur les principes fondamentaux des trois grandes religions monothéistes, que d’affirmer, par exemple, qu’aucun être humain ne peut être frappé ou tué au nom de la religion. Que la dignité de chaque personne humaine passe avant l’État, qui a même le devoir de la défendre à travers les règles constitutionnelles et les lois. Que l’égalité entre les hommes et les femmes, la liberté de professer en privé et en public sa propre foi, le droit de tous les enfants à l’éducation et à grandir en bonne santé, sont autant de principes qui doivent être globalisés au moins autant que les défis économiques et environnementaux, les grandes migrations ou la compétition dans les commerces.

Solidarité mutuelle et dialogue sont aussi un impératif pour l’Union Européenne. Comme Jean Monnet affirmait l’Europe n’est pas une coalition d’Etats, mais l’union des peuples.

Un dialogue sur des questions éthiques, qui touchent l’essence de l’homme, est impératif pour les croyants et pour les non-croyants ; pour les États, qui sont et qui doivent rester laïques,comme pour les communautés religieuses ; pour les centres de la culture et pour ceux qui la diffusent, de même que pour les jeunes qui apprennent.

Ouvrir les frontières – par exemple en créant dans notre Bassin Méditerranéen une grande zone de libre circulation pour les jeunes, pour les étudiants, pour les échanges culturels et pour le dialogue – serait le signe que notre Europe vainc dans quelques cas la peur des barrières Schengen au nom d’un défi plus élevé. Ce défi, il est lancé contre les peurs, contre l’Europe forteresse, certainement pour isoler les criminels, mais aussi pour laisser ouvertes les portes à ceux qui représentent une « valeur ajoutée » pour nous tous.

Dans les années 1980 et 1990, avec le projet Erasmus, des millions de jeunes gens d’Europe de l’Est ont découvert les universités, les cultures et leurs camarades de l’Europe libre, et ils ont appris à être des citoyens européens, aujourd’hui membres de l’Union Européenne et de l’OTAN. Avec l’abolition des visas, le monde des Balkans continue sa marche sans alternatives vers l’Europe.

Avec courage, en suivant un devoir moral davantage qu’un calcul politique, promouvons le dialogue sans obstacles entre les deux rives de la Méditerranée, avec un nouvel Erasmus pour les droits et la liberté.

Nous aiderons les révolutions arabes à aller de l’avant et à éviter des fragilités dangereuses, mais nous ferons surtout le bien de millions de jeunes qui nous le demandent !